Qui a volé le chemin de l’école?

Article : Qui a volé le chemin de l’école?
Crédit: Frédéric Bisson. Attention, Ecole sur flickr
22 août 2021

Qui a volé le chemin de l’école?

Depuis octobre 2019, les crises se sont succédées et ont entraîné la fermeture des écoles sur tout le territoire libanais. A l’heure actuelle, le sort de la rentrée 2021 demeure incertain.

Et si je vous racontais toute l’histoire?
Autrefois était autrefois, aujourd’hui est un autre temps. Malheureusement…

Il y avait bien des années que les gens du Liban étaient tourmentés par une multitude innombrable de… de rats? dites-vous? Vous n’êtes pas bien loin de la vérité… Il y avait bien des années que le Liban était rongé par les mêmes vermines, miné par les mêmes parasites que la Guerre a promus au rang de grands hommes: sauveurs inespérés, défenseurs de droits violés, milliardaires aux fortunes soupçonneuses, traîtres aux âmes corrompues, tricheurs cent fois élus et réélus.

Et puis voilà qu’un certain jeudi, s’élevèrent dans la nuit des cris longtemps retenus:

Sawra! Sawra! entendit-on dans les rues.
Sawra! Sawra! cria-t-on en choeur, sur toutes les places.
Les poitrines se gonflèrent et au fond des prunelles, on aperçut une lueur nouvelle.

Nul ne vit l’homme qui avait tiré de son sac la flûte enchanteresse mais, vous l’avez sûrement deviné, beaucoup le suivirent. En hordes désordonnées aux gestes spontanés… En rangs serrés aux intentions douteuses… Du Nord au Sud, des libanais de tout âge chantèrent des hymnes pleins d’espoir; hurlèrent, poings levés, des refrains pleins de rage et réclamèrent qu’on arrache à des mains traîtresses une patrie longtemps prise en otage.

Les routes furent coupées.
Des pneus brûlés crachèrent vers le ciel de gros nuages de fumée.
Les bancs des écoles furent très vite désertés.
Les enfants se joignirent aux rangs des révoltés: « Kellon yaani Kellon! Ils devront tous s’en aller! priait-on avec ferveur. Demain sera sûrement un jour meilleur. »

Plusieurs mois passèrent. Le son de la flûte ne charma aucun rat. On l’entendit encore quelque temps et puis il diminua.

Et la vie reprit son cours? Et les enfants reprirent le chemin l’école?

Cric-Crac! Patientez… Une autre histoire est sur le point de commencer.

Telle une belle princesse au doigt fatalement piqué par un long fuseau, la Nation ferma les yeux et on la vit tomber à terre paralysée, inconsciente, brisée, impuissante… Contrairement aux attentes, le baiser du prince ne fut point salvateur. La princesse ouvrit les yeux la fièvre au front, la toux aux lèvres.

On craignit pour les enfants une contamination imminente. De nouveau, les écoles furent fermées: élèves et enseignants comptèrent parmi les confinés.

Dans les quatre coins de la planète, la même urgence s’était imposée. Les élèves les plus chanceux continuèrent à apprendre par écrans interposés. D’un continent à l’autre et au sein d’un même pays, les inégalités continuèrent à se creuser et l’on compta par centaines de millions les enfants déscolarisés. Un peu partout, des plans d’urgence furent imaginés. Et quand la Grosse Vague se fût retirée, de petits galets savamment semés montrèrent à beaucoup d’élèves le chemin de la cour de récré.

Et au Liban? Qu’arriva-t-il aux enfants?

Dans leur pays, dès l’aube, les adultes devaient s’atteler à maintes corvées. Pour quelques litres d’essence, ils pouvaient laisser leur peau. Les pénuries se multiplièrent: pain, médicaments, eau… Dans la forêt profonde, les petits libanais furent abandonnés. Pas moyen de les nourrir ni de les soigner.

La femme d’un ogre ou quelque bonne fée, s’inquiétant de leur sort, aurait-elle eu pitié d’eux?

Quelques uns chaussèrent des bottes de sept lieues et coururent s’épanouir sous d’autres cieux. Tous les autres attendent qu’on les prenne par la main, qu’on les sorte du labyrinthe et qu’on les mette, cartable au dos, en route vers… demain.


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