Comment j’ai apprivoisé mon ennemie…
Je n’ai aucun souvenir de ce moment d’inattention où, sans doute distraite par un détail de ma routine quotidienne, emportée par une énième course contre la montre, j’ai dû laisser entrouverte la porte par laquelle elle a pu s’introduire…
Et depuis, elle est là, installée comme chez elle. D’abord, elle s’est malignement faite discrète. C’est à peine si je remarquais sa présence. Ma voix pouvait sans peine masquer le bruit de ses pas. Puis elle m’a tenu tête, me croisant à tout bout de champ, laissant traîner derrière elle son lourd parfum entêtant. Depuis quelque temps, elle me suit de très près. Son ombre emboîte la mienne. Sur ma nuque, je sens son haleine. Prendre des vacances. Avaler des comprimés. J’ai tout essayé. Mais à chaque fois, elle revient et m’impose sa loi. Hideuse, elle s’applique à gâcher ma vie, à remplir ma tête de son ultime symphonie. “ Peur, je vous hais. Laissez-moi en paix ! ” Croyez-vous que mon cri puisse l’attendrir ? J’ai l’impression, au contraire, qu’elle pourrait s’en nourrir.
Je me suis faite “ Petit-Prince ” et une nuit, lorsque fidèle à ses habitudes, elle m’interpelle, je change les miennes et, au lieu d’enfoncer ma tête sous une montagne d’oreillers, je l’invite à s’approcher et lui lance : “ Viens jouer avec moi … Je suis tellement triste.” Vous avez sans doute deviné que sur mes intentions elle ne s’est pas laissée tromper et elle a vite compris que je cherchais à l’apprivoiser. Il y a eu un long silence qu’elle a brisé pour me souffler: “Cela fait bien deux heures que je suis là à te regarder…” Je n’ai pas entendu la suite car j’ai découvert, dans son visage qui me faisait face, une cicatrice à la place de l’un de ses yeux. C’est là, non loin de sa pupille morte, que j’ai aperçu ses larmes pour la première fois. Ce n’était pas du chagrin, c’était de l’impuissance car depuis que cette louve est arrivée dans mon pays, elle ne fait que chercher désespérément la sortie.
Pendant plusieurs semaines, assises côte à côte, fixant le même horizon, le dos fouetté par les cris d’une même foule, nous avons attendu. Emportées par les hymnes, toutes les deux avons fini par tanguer et poing en l’air nous avons chanté. Puis il a plu des cordes. De grosses gouttes sont tombées du ciel et comme autant de fouets ont frappé nos épaules, ont lavé notre joie, mirage qu’au milieu du désert, un errant aperçoit. L’horizon lui-même a disparu, ne me laissant aucun choix. “ Peur que je hais, heureusement, tu es là pour moi… “
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