A bas mes principes!
Vous est-il déjà arrivé de renier vos principes, d’agir à l’encontre de vos convictions, de rejeter tout ce à quoi vous aviez cru autrefois?
Autrefois…
Il y a eu beaucoup d’autres fois, comme cette fois; beaucoup d’autres soirs, comme ce soir…
Il y a eu beaucoup d’enfants: des filles, des garçons, des bruns, des roux, des blonds…
Il y a eu beaucoup d’autres appels dont je me rappelle, des petites voix qui se sont adressées à moi:
Madame, je vous en prie… ayez pitié de moi, je n’ai pas de famille. Madame, que Dieu vous protège, vous bénisse… que Dieu vous garde votre fils. Madame, vous avez l’air généreuse… aidez-moi et je prierai pour que vous soyez heureuse. Madame, achetez-moi ma marchandise… sinon, ce soir, j’aurai de mauvaises surprises. Madame, s’il-vous-plaît, rien que quelques billets… Dieu vous rendra tout ce que vous auriez payé.
Sur les trottoirs, dans les cafés, au milieu de la rue … ils sont partout. Semblables et différents.
Il y a les petits libanais. Trop pauvres pour aller à l’école, trop jeunes pour commencer à exercer un métier (mais, malheureusement, cela ne saurait tarder!), ils sont obligés de déambuler, de remplir leurs poches avant la fin de la journée.
Depuis quelques années, ce sont surtout des petits Syriens à l’avenir incertain. Ils se déplacent en bandes organisées (ou pas), vous attendent à la sortie d’un supermarché. Ils vous demandent l’aumône, ou alors de leur acheter cette marchandise que leurs petits bras transportent, de jour comme de nuit, sous le soleil brûlant comme sous la pluie.
… je réagissais comme ça:
Non à l’exploitation des enfants!
Non à ces mafias organisées!
Non à ce spectacle désolant!
Non à cette enfance privée de scolarité!
Autrefois, je tenais bon. Je fermais les yeux, je détournais mon regard. Je me faisais sourde. Je me faisais avare.
Bon, il y a cette fois où j’ai acheté un cahier, des crayons, des couleurs et je lui ai appris à écrire son prénom et le mien. Il cachait le précieux matériel sous un banc, juste en face de l’université. C’est là où nous avions l’habitude de nous rencontrer. Jusqu’au jour où son frère, les sourcils froncés, est venu me crier qu’il ne fallait plus le déranger!
Il y a eu ces autres fois où j’ai acheté une galette, des biscuits. Une bouteille d’eau ou de jus de fruits. Calmer leur faim, leur soif. Oui. Mais point d’argent! NON. Il ne fallait surtout pas devenir complice de ces adultes criminels, ces hors-la-loi, ces marionnettistes invisibles, sans coeur et sans foi!
Mais, ce soir…
Mais ce soir, tout a changé. En apercevant cet enfant, cette innocence brisée par la Guerre et par la vie, je n’ai pu m’empêcher de lui tendre quelques billets. A lui, au suivant et à l’autre encore qui, caché derrière une voiture, attendait son tour.
Venez, jeunes créatures! Plus jamais vous ne serez privés, ni de mon argent ni de ma pitié. Traînez partout où je serai, tombez-moi sous le nez. Mais surtout n’allez pas échouer, face au sable, dos au ciel, les habits mouillés, sur une plage puis sur les écrans de l’humanité!
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